Page:Reclus - France, Algérie et colonies, 1886.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
191
FRANCE.

mença même un canal pour éviter aux navires de tourner le Cotentin du nord.


2o Cotentin ; îles Normandes ; le Mont Saint-Michel. — L’Ouve est la principale rivière du Cotentin ; un de ses affluents, qui coule devant la triste Valognes, grandeur déchue, s’appelle Merderet. Disons à l’honneur du Nord que les noms de ce genre y sont beaucoup plus rares que dans le Midi ; c’est à peine si l’on peut citer au nord de la Loire le Merderet de Valognes, un Merdaret, un Merdereau et deux ou trois Roulecrotte ; tandis que dans le Sud, on rencontre en foule des Merdaillon, des Merdalou, des Merdaret, des Merdaric, des Merdariou, des Merdanson, des Merdens, ruisseaux dignes de leur nom, faute d’assez d’eau pour laver les grèves de leur lit dans ces pays du soleil.

La presqu’île du Cotentin, granitique et schisteuse, est la seule grande en France avec la Bretagne ; elle peut avoir 330 kilomètres de tour, à grandes lignes, sans tous les petits retraits, bien moins nombreux que jadis, car les alluvions y ont effacé beaucoup de fleurs ou flieurs, c’est-à-dire de baies[1]. Par son climat doux, son ciel tout en pluies fines, ses prairies humides, ses fleuves que la mer guette et dévore avant qu’ils ne soient grands, ce vaste bloc entouré de flots sauvages rappelle, plus qu’aucune autre région française, l’herbagère et moite Albion. Falaises, grèves, sables et dunes s’y suivent le long des eaux irritables ; mais partout la côte est frangée de criques, et où la nature n’avait point échancré de ports, l’homme en a taillé.

Le rivage oriental du Cotentin va de l’estuaire de la Vire à la pointe de Barfleur. Son meilleur port, Saint-Vaast, abrité, profond, cultive l’huître ; il a failli devenir ce qu’est aujourd’hui Cherbourg, une forteresse,

  1. Fleur, flieur, c’est le fjord ou fiord norvégien, resté dans la langue du pays comme un héritage des colons normands.