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PARIS.

poussière de leurs pieds en criant : « Nous sommes plus justes que ces hommes-là ; » et ils prédisent un dieu vengeur à la Babylone moderne. Ils espèrent que Paris sera brisé comme le château d’Edenhall[1]. L’avenir exaucera leur vœu, car il n’y a que deux sortes de villes : celles qui sont mortes et celles qui mourront.

Paris était merveilleusement situé pour être l’âme de la France antique, lorsque la langue d’oc n’était pas encore soumise à la langue d’oil ; car la patrie, c’était alors la Seine, la Saône et moitié de la Loire. Alors l’Angleterre elle-même, du moins dans ses villes et par ses classes d’élite, était plus française que le sud de la France. Aujourd’hui que la haute Loire, la Garonne, le Rhône et l’Atlas ont porté l’axe de la France au sud, Lyon, Avignon, Toulouse, Marseille, seraient de meilleures capitales.

Paris, devenu très excentrique, a l’ennemi presque à ses portes ; Lyon, sur un fleuve supérieur à la Seine, sur une rivière supérieure à la Marne, a derrière lui les créneaux parallèles du Jura ; Avignon, entre l’Espagne et l’Italie, a les Alpes à gauche, les Cévennes à droite, le Rhône devant et derrière, la mer en face et tout près ; Marseille regarde Alger, au bout d’une France, à portée de l’autre ; Toulouse règne entre l’Ouest et l’Est, entre l’Atlantique et la Méditerranée, non loin des ports d’où nous gagnons l’Afrique.

Qu’y pouvons-nous ? La France est une personne faite, ses organes fonctionnent depuis des siècles ; un peu contre nature, elle a son cœur à Paris, et ce cœur agite un sang vigoureux, mais âcre, enflammé, subtil.


À Paris, la Seine est à 25 mètres seulement ; en aval, elle devient tellement sinueuse que, de Lutèce à la mer, elle n’a pas moins de 365 kilomètres de longueur, pour 180 en ligne droite : le fleuve double donc son chemin.

  1. Dans le Verre d’Edenhall, admirable ballade du poète souabe Uhland.