Page:Reclus - France, Algérie et colonies, 1886.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.
12
GÉOGRAPHIE.

où se mêlaient deux rivières ennemies ? Pourquoi tant de sang, tant de sang rouge, comme dit le poète allemand quand il demande avec amertume ce que gagna l’Allemagne à la Bataille des Peuples, à la triple journée de Leipzig ? Pour une œuvre de néant, pour unir à la France des hommes qui ne sont Français ni par la langue, ni par l’humeur, ni par l’origine. Arrêtés du côté des terres par un mur vivant, nous n’avions pas, comme la Russie, des sols immenses à prendre sur le vide, au delà du fleuve, au delà des monts. Nous aurions dû, comme l’Angleterre, l’Espagne ou le Portugal, passer le flot de l’Ouest, et couvrir le Nouveau-Monde. Aujourd’hui, si l’Amérique a ses maîtres, l’Afrique, au delà des eaux céruléennes, ouvre à la France un champ sans limite.


6o Frontières de la France : limites naturelles ; tracés arbitraires, parfois insensés. — Il y a des frontières physiques et des frontières morales, qui parfois coïncident, qui s’écartent souvent. Il y a des frontières artificielles, lignes droites ou tordues, tirées en dépit de la nature et des convenances ou des sentiments des hommes.

Des frontières physiques la meilleure est la mer, qui peut s’élargir à des milliers de lieues, avec des profondeurs de plusieurs kilomètres. La montagne sépare autant que la mer quand elle dépasse les neiges éternelles, quand les cols qui l’entaillent sont élevés, gelés, difficiles ; telle chaîne sourcilleuse divise plus les nations qu’un bras de mer sans largeur. Les déserts, les grands marais, les forêts, sont aussi de puissants agents de divorce ; mais l’homme assied des chemins et creuse des puits dans le désert, il dessèche les marécages, il extirpe les bois, et ces obstacles n’ont rien de l’éphémère éternité des océans et des montagnes. Quant aux lacs, aux rivières, aux fleuves, ces frontières-là sont faciles à mépriser.

Des frontières morales la plus infranchissable était autrefois tracée par la différence des religions ; elle l’est aujourd’hui par la différence des langues.