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FRANCE.

dunes qui ont valu à Dunkerque son nom, corruption de deux mots flamands signifiant l’Église des dunes. Ces sables seront bientôt tous fixés par des pins, forêt où le vent du Nord, tamisé dans les aiguilles, versera des murmures pareils au vague chant des lointaines cascades. À 20 kilomètres environ à l’ouest de Dunkerque, près de Gravelines, les dunes s’écartent pour laisser passer l’Aa.

L’Aa, petit fleuve de 80 à 90 kilomètres, n’a guère que 45 à 20 mètres de large ; ce n’est pas le seul Aa d’Europe : beaucoup de rivières s’appellent ainsi en Belgique, en Hollande, en Allemagne, en Suisse, en Scandinavie et en Lithuanie. Aa, vieux mot germanique, signifiait eau, rivière ; c’était un parent de l’apa sanscrit, de l’ahva gothique, de l’abh celtique, de l’aqua latin, devenu en français eau, et chez nos paysans ève. Semblables aux Basques, chez lesquels on appelle indifféremment tous les torrents l’Eau, ou quelquefois la Grande Eau (ce que font aussi d’autres peuples), nos ancêtres n’eurent aucun souci de varier les noms qu’ils donnaient aux rivières. N’était-ce pas assez de les suivre sans routes et de les traverser sans ponts ou d’en conquérir les gués sur l’ennemi ? Ils les appelèrent simplement Eau : la grande eau, l’eau noire, l’eau blanche, l’eau rouge, l’eau bleue, l’eau verte, l’eau claire, l’eau lente, l’eau rapide, ou bien encore l’eau du mont, l’eau du roc, l’eau des bois, l’eau des sources. En scrutant profondément les noms de nos rivières, on trouvera que la plupart d’entre elles ont à leur origine un radical qui voulait dire eau ; et déjà l’on connaît quelques-unes de ces racines : av ; ant ; car ; on, qui termine chez nous des milliers de ruisseaux ; dour, sous la forme simple comme Dore, Doire, ou avec redoublement comme Tardoire, ou combiné avec on comme Dronne. Le temps, faisant son œuvre obscure chez des hommes qui n’écrivaient pas, a mêlé, tordu, broyé, mangé ces syllabes. Cette corruption nous cache l’extrême simplicité de la géographie de nos arrière-pères : où