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GÉOGRAPHIE.

est : Nunquam fœdari ![1] Tout ce qui les tache les avilit, et le fleuve de fange ne vaudra jamais le ruisseau de cristal. Qui n’a de regards que pour les grands charroyeurs de boue n’est pas digne de communier avec la nature.

Quelle splendeur que la limpidité bleue, la clarté verte ou la transparence brune des eaux ! Le nuage y flotte, le soleil y vibre, l’ombre y descend, le ciel s’y peint et fait les flots aussi profonds qu’il nous paraît haut.

La beauté des eaux courantes est aussi dans leur course même : elle est dans la torpeur des gouffres, le tournoiement des remous, l’effondrement des cascades ; elle est dans l’onde qui coule sans bruit, sournoisement, sans paraître couler, et dans celle qui se brise avec rumeur sur les écueils de pierre ; elle est enfin dans ce qui n’est point la rivière : dans les moelleuses prairies qui la boivent, dans les forêts qui s’y mirent, dans les vieilles tours qui la voient passer immortellement jeune, dans les bassins pleins de lumière qui furent des lacs, dans les défilés sombres, les cassures, les cirques, les couloirs, les dalles de marbre et les blocs de granit.

Ce qui manque à la France, c’est le lac et c’est la cascade. Hors de Savoie, et sans regarder le Grand-Lieu, pièce d’eau banale, nous avons les rouilleux étangs littoraux des Landes, d’ailleurs honnis seulement par l’homme inférieur qui hait la dune, le vent de la mer, la voix des pins, les bouts du monde et la solitude. Nous avons aussi les grandes mares du Roussillon et du Languedoc, prises jadis aux flots purs de la mer, mais, depuis qu’elles en ont été séparées, envahies de plus en plus par la boue, l’herbe et les joncs, entre des rives plates ravagées par la fièvre qui sort des eaux pourrissantes. Enfin il y a dans le Jura, les Alpes, les Pyrénées, de charmants laguets serrés dans la roche, et en Auvergne des cratères où l’onde bleue, profonde, froide, immobile, coupe elliptique

  1. N’être jamais souillées !