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FRANCE.

de craie blanche s’étend plus ou mains sur quatre départements : Ardennes, Marne, Aube, Aisne. Elle n’est pas belle, elle n’est pas riche, elle n’est point bocagère, elle a de tristes chaumières et de laids villages. Son nom la peint : Pouilleuse ne signifiait pas seulement couvert de poux, rongé de vermine, il voulait aussi dire pauvre, misérable, nu, ce qu’est justement le plateau de la Champagne. Beauce par la platitude, la sécheresse des plateaux, la rareté des vallons où murmure une eau courante, il ne livre pas aux souffles de juillet le jaune océan d’épis qui fait l’orgueil des champs beaucerons. Quand on ne l’a pas brisée pour la mélanger de marne, sa dure carapace n’entretient que des herbes rabougries ; même généreusement engraissée de fumier, elle donne à regret une vie languissante aux semences qu’on lui confie ; et les résineux qu’on y plante montent sans ardeur d’un sol qui n’a pas assez de sucs pour composer des troncs vigoureux. Les vallées de la craie champenoise brillent au contraire par un grand luxe de prairies, d’arbres, de sources vives, de ruisseaux bleus. Parmi les flots qui reflètent les ponts de Paris, beaucoup sont sortis des fontaines de la plaine pouilleuse : fontaines qui, suivant les années, descendent ou remontent le vallon supérieur où elles naissent ; il y a dans ce pays nombre de lieux dont le nom commence par le mot Somme, c’est-à-dire tête ou source ; et ces lieux marquent en effet la source normale d’une rivière : Somme-Sois ou Somsois, Somme-Puy ou Sompuis, Somme-Soude, Somme-Sous, Somme-Aisne ou Sommaisne. Somme-Yèvre, Somme-Bionne, Somme-Tourbe, Somme-Suippe, Somme-Py, Somme-Vesle, etc. Mais cette source habituelle, ancienne, historique, diminue par les longues sécheresses : un cycle d’années ardentes peut même la tarir ; alors elle va jaillir plus bas dans la vallée, à tel niveau inférieur qui reçoit les eaux cachées d’un plus vaste bassin, au-dessous d’un confluent souterrain de ces lacs invisibles qui sont les mamelles des ruisseaux.