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FRANCE.

où l’abîme oppresse, où le torrent croasse, où le roc et la forêt cachent le divin soleil aux fontaines.

La joie sérieuse qu’éprouve l’homme assis au rocher du rivage devant l’infini bruyant de la mer, le voyageur la retrouve devant le vide et le silence de la plaine landaise ; çà et là elle semble également infinie, quand le regard ne s’y heurte pas aux dunes, aux jeunes pinadas qu’on n’a pas encore éclaircis, au rideau des pins arrivés à toute leur taille, et qui, selon que leurs troncs sont distants ou serrés, laissent passer avec éclat ou filtrer obscurément l’horizon. Ces grands pins sont ébranchés ; de longues blessures d’un blanc jaune, taillées dans leur chair, en expriment la résine : et malgré ces plaies coulantes d’où sort incessamment sa vie, cet arbre héroïque met cent ans et plus à mourir. On dit de ces pins qu’ils sont gemmés ; sous leurs rameaux d’un vert noir, le sable est blanc, la fougère est verte, la bruyère a des fleurs rouges et le genêt des boutons d’or.

Des moutons paissent, gardés par des bergers qui n’ont pas tous abandonné leurs échasses de quatre à cinq pieds, jambes de géant d’où le pasteur landais suit de l’œil son troupeau dans les ajoncs et les brandes. Plus grand que nature et balançant le long bâton sur lequel il peut s’asseoir, il marche à pas énormes, dominant les bruyères, les fougères, les genêts auxquels il ne se pique point ; les jeunes pins n’arrêtent pas sa vue, il commande tout le sous-bois, il traverse à sec les lagunes dont la saison des pluies recouvre au loin le désert, et sans ponts il passe à son gré les ruisseaux plus larges que le saut d’un jeune homme : ruisseaux rassemblés sous le sable, sur l’alios, toujours abondants, vifs, clairs, malgré le rouge dont les teint le fer que contient le sol de la Lande.

Au bord de ces gais ruisseaux colorés qui sont les sujets de l’Adour, de la Leyre ou du Ciron, des hameaux de bois aux tuiles rouges se montrent dans la clairière ou se cachent à demi entre les pins et les chênes-lièges,