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FRANCE.

4 500 hectares seulement d’eau cristallisée sur le versant septentrional d’une chaîne qui a plus de cent lieues de long et de vingt lieues de large, quel prodigieux recul depuis l’ère, antérieure à toute histoire, dont nous entretiennent les moraines, les roches striées, les blocs erratiques ! Alors des crêtes, bien plus hautes que de nos jours, où nous voyons maintenant le Mont-Perdu dans son calme silence, où nous entendons la cascade du Marboré dans sa plainte éternelle, un glacier descendait au loin vers le nord : il ne s’arrêtait qu’à 70 ou 72 kilomètres, en plaine, aux lieux où s’élève le bourg d’Andrest, entre Tarbes et Vic-de-Bigorre. Liant sa froidure à celle de Campan, il couvrait 200 000 hectares de gorges, de vallées où passent aujourd’hui des gaves aussi rapides qu’il était lent, aussi joyeux qu’il était morne, aussi clairs que pouvaient être impurs les torrents sortis de ses arches terminales après avoir rassemblé leurs gouttes sur un sol écorché par le rampement de cet océan massif. Car il devait labourer profondément la roche, ce « glacier d’Argelès » dont on croit que la puissance était de 360 mètres à l’endroit que nous appelons Lourdes, de 790 au lieu que nous nommons Argelès, de 1 350 à celui qui a nom Gavarnie. Et à l’orient de cette mer de glace, de l’autre côté des monts de Néouvielle, une autre mer figée, le « glacier d’Aure », pesait sur les vallées d’où coulent maintenant les branches de la Neste.

Tels sont les glaciers, tels sont les névés : le fœhn, vent du sud et qu’on dit fils du sirocco, fond infiniment plus de neiges sur les flancs alpins que l’autan, cet autre vent du sud fils du même sirocco, n’en tiédit et n’en délaie sur les flancs pyrénéens. Sans nous arrêter aux frimas vulgaires que l’hiver ramène et que l’été remporte, les 4 500 hectares pyrénéens de glace dite éternelle disparaissent rapidement sous nos yeux, comme d’ailleurs celles qui glissent pesamment sur les épaules des Alpes. Mais que de fois encore ces glaciers redescendront de