mais, dans cette contrée sauvage, il n’y a de money-order office[1] ni près ni loin, et de plus je suis à demi nourri par les paysans du lieu : avec eux, il ne serait pas séant de me déclarer insolvable. Ce que tu pourrais faire, ce serait de me rencontrer à un certain lieu et à une certaine heure sur la route de Dublin à Kippure ; je ferais les deux tiers du chemin et j’y viderais la moitié de ma fortune. Tu m’écriras ce que tu en penses et, s’il y a lieu, tu me fixeras lieu, jour et heure…
Tes lettres ont fait le tour du monde. Écris-moi désormais par Blessington.
Ici, tout va bien. J’ai fait une girouette, j’ai bêché, hersé, ratissé, semé et surtout j’ai porté des pierres. Ici l’agriculture en est à peu près à l’état où elle était au temps des anciens Celtes.
Sur une propriété large comme un pays, il n’y a pas une seule charrue. Le sol ne se compose guère que de tourbe, et c’est à peine si l’on a fait quelques tentatives de drainage ; rien ne serait plus facile que d’amender les terres au moyen des masses immenses de sable charriées par la Liffey, mais personne n’y a encore réfléchi.
La contrée est sauvage et pittoresque ; de ma fenêtre, je vois le géant du lieu, le Mullagh-Cleevaun, que je désire gravir un de ces jours, et j’entends le bruit des cascades de la Liffey ; ses eaux sont noires comme de l’encre et se brisent contre les rochers en écume roussâtre ; dimanche dernier, j’ai remonté son cours jusqu’à l’endroit où elle disparaît sous la neige ; j’ai vu aussi les deux Lougdes Bray, et, pour les atteindre, j’ai dû marcher plusieurs lieues à l’aventure dans une
- ↑ Bureau de poste pour envois d’argent.