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savoir, et pour arriver jusqu’à eux les seules choses indispensables manquaient : gants, habits à queue, chapeaux reluisants. On ne saurait s’imaginer à quel point l’Anglais d’alors, pris dans toute sa masse bourgeoise, professait de religion fervente à l’égard de ces attributs extérieurs de la civilisation. « En dehors de la mise coutumière, point de salut » : telle était la règle suprême à laquelle tout étranger devait se conformer ; l’œil interrogateur de la maîtresse de maison surveillait avec rigueur le vêtement de chaque intrus, surtout lorsque celui-ci était originaire de France, ce « pays de la corruption et de la légèreté profane ». La répugnance de bon ton que l’Anglais respectable éprouvait contre l’immigré français était encore accrue du fait que ce Français, suivant toute probabilité, était un républicain, un socialiste, un contempteur de toutes lois divines et humaines. C’était l’époque où un Stuart Mill refusait de recevoir un Pierre Leroux[1], où le Times se vantait de la supériorité du procédé britannique envers les réfugiés sur les pratiques continentales : les laisser mourir de faim sous le mépris de tous, n’était-ce pas mieux que de les enfermer dans une prison d’où ils sortiraient un jour héros ou martyrs ?

Et puis, il faut bien le dire, les exilés, volontaires ou non, étaient nombreux. Quelques-uns, déjà illustres par leurs travaux, bien vus dans leur patrie, riches ou correspondants de journaux, se tiraient d’affaire ; les

  1. Dans la Grève de Samarez, Pierre Leroux raconte sa visite à l’India Office et la réception plus que glaciale que lui fit John Stuart Mill, son admirateur par correspondance.