aucune occasion jouir complètement tant que ma vie est ainsi scindée : une moitié court la pretentaine, je ne sais où, du côté de Rugen, de Swinemunde, de Breslau, que sais-je ? tandis que l’autre moitié est restée en France, mais, comme dans un rêve, attendant toujours le moment de son réveil.
Dans tout notre voyage, nous[1] n’avons encore vu, sauf quelques petites fadaises intéressantes ici et là, qu’une chose véritablement belle : l’île de Rugen ; les rochers de Stubbenkammer ont de beaucoup dépassé mon attente. La forêt de hêtres de la déesse Hertha recouvre toute la partie orientale de l’île jusque sur le bord même de la falaise. Celle-ci est déchirée par des ravins et bordée par des talus d’éboulement où croissent des arbres magnifiques. Les pyramides ou les aiguilles de craie jaillissent donc d’une mer de verdure et se dressent jusqu’à une hauteur de plus de cent mètres. Au-dessous des rochers et des arbres qui en entourent la base, la mer se brise sur d’énormes rochers de granit portés en hiver par la débâcle des glaces. Quand nous avons vu ce promontoire, les vagues étaient furieuses et les arbres se tordaient sous le vent.
Au point de vue géographique, les dunes de la mer du Nord, les grandes plaines marécageuses du Hanovre, les prairies inondées de l’embouchure de l’Oder ont bien leur intérêt, mais elles ne m’ont offert rien d’imprévu, et sous le rapport de la beauté, la moindre colline des environs de Paris leur est supérieure.
J’ai eu très souvent l’occasion de causer politique avec les gens du crû. Tous, presque sans exception,
- ↑ Il voyageait avec un cousin, Ernest Ardouin, médecin, mort très jeune d’une piqûre anatomique.