et de vénération qui me fermait la bouche, je n’osais pas t’adresser directement de peur que mon langage trop mondain ne réveillât quelques-unes de tes souffrances et ne te rappelât douloureusement que tout n’est pas entre nous harmonie, paix et concorde. Ai-je tort, cher père, de te parler avec franchise ? Il m’a semblé que si je t’écrivais pour te parler de mille choses et de mille autres encore, ma loquacité sur de pareils sujets ne pourrait que faire remarquer mon silence sur les grandes questions qui seules intéressent vraiment l’homme, et voilà pourquoi j’ai préféré me taire complètement, pourquoi je romps aujourd’hui mon long silence avec amertume de cœur. Je parle, cher père, pour te témoigner tout mon amour de fils, mais c’est justement parce que j’éprouve pour toi une si vive et si profonde affection qu’il m’est bien triste de ne pas te crier : Sois heureux, mon père, je sens, j’aspire et je prie comme toi !
Telle est aussi, je l’avoue, la grande raison qui m’a empêché de revenir en France. Te revoir et t’embrasser serait une bien douce chose, et faire le tour du monde n’est rien pour aller jouir d’un moment semblable, mais dans ces premiers embrassements et dans tes premières paroles, n’y aurait-il pas quelque chose de triste et de poignant qu’aucun élan d’amour de ton fils pour toi ne pourrait alléger ? Et puis ma présence ne serait-elle pas comme un remords vivant ? mes paroles, mes actions, le souffle de ma vie morale seraient une souffrance pour toi. Non, il vaut mieux que je reste à part et que mon amour de fils ne soit pas sans cesse contrarié par la tristesse de te déplaire.
Ai-je tort de te parler ainsi ? Je ne sais, et je désire ardemment que ma mère et toi vous approuviez ma