Page:Reclus - Correspondance, tome 1.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« L’espace librement parcouru autour de la résidence était fort étroitement limité. Au nord, la frontière immédiate était la grande route, séparant notre monde d’un bois où la fontaine de Saint-Boës distillait des eaux bitumeuses dans une mare fétide. Au sud, la barrière était une haie derrière laquelle on entendait l’eau grondante du Gave, et c’était déjà crime que de voir le flot luire en plaques d’argent entre les roches et les massifs de vergnes. Peut-être, il est vrai, ce crime fut-il commis plus d’une fois, mais toujours avec l’idée d’avoir tenté le Destin, le Diable et toutes les puissances mauvaises acharnées contre l’homme et spécialement contre les enfants, heureux de courir, de s’ébattre, de tremper les doigts dans l’eau courante. »

Après la liberté relative dont l’enfant avait joui à Laroche, ce séjour de Castétarbes lui fut une vie de tristesse et d’effroi, dont il ne parlait pas sans amertume, malgré le souvenir riant de quelques aventures, de bienheureuses visites chez des paysans, qui vénéraient le père et chérissaient les enfants, leur ouvrant granges et greniers, leur offrant le meilleur des provisions et les fruits de la récolte. Ces visites se prolongeaient pendant plusieurs jours et furent pour les deux frères une sérieuse initiation à la vie des champs.

« Mais la famille ne pouvait plus rester à la campagne, les progrès de l’école fondée par Mme Reclus exigeaient un milieu plus ample ; il fallut retourner à la ville, où, successivement, plusieurs grandes demeures avec jardins abritèrent les Reclus, Élie et sa sœur