pour aller faire de moi un paysan montagnard. Je pourrais bien continuer à gagner honorablement ma vie à Riohacha, mais le professorat n’est pas ma vocation, surtout lorsque les élèves apprennent peu, et puisqu’il s’agit de vendre, je préfère vendre des bananes et des aracachas que des participes. Ma conscience me dira d’une voix bien plus haute et bien plus claire que je suis utile à mes semblables. D’ailleurs, tout est à faire en fait d’agriculture, et ceux qui mettent du cœur à l’ouvrage ne peuvent que réussir.
Autour de Riohacha, il n’y a que deux ou trois misérables jardins, et les choses les plus nécessaires à la vie viennent de Sainte-Marthe, de Maracaybo ou des États-Unis. Cependant la Sierra Nevada est d’une incomparable fécondité et produit de tout en abondance depuis les plantes de la zone torride jusqu’à celles du cercle polaire, puisque tous les climats superposés ont attaché leur ceinture de végétation autour des flancs de ces montagnes. Mais que peuvent faire dans ce beau pays quelques centaines de timides Aruaques, presque abrutis par les exactions des prêtres et des espagnols ? Une compagnie française demande la concession de la Sierra Nevada et s’engage à y jeter cinquante mille colons, dans l’espace de cinq ans. Quel bonheur ce serait pour un pays où il n’y a pas encore une seule charrue, et où tous les travaux de l’agriculture, le labourage y compris, se font au moyen d’un sabre ! Quoi qu’il en soit, l’avenir de ces belles montagnes est aussi beau que celui de la Suisse, et je veux être l’un des pionniers de cet avenir.
Si j’ai attendu si longtemps à Riohacha, avant de partir pour la Sierra, c’est que j’attendais un compagnon. Je me suis associé avec M. Chassaigne, menuisier