livres et sans journaux. D’ailleurs te le dirai-je ? quand je me suis vu dans ce jardin de bananiers qu’on s’offrait à me vendre pour la modique somme de 48 francs, quand j’ai vu le bourriquet qui était destiné à porter mes produits au marché, j’ai frémi jusqu’à la moelle des os à l’idée de m’enrégimenter dans la phalange honnête et modérée des propriétaires. Sans capitaux pour entreprendre de ces cultures industrielles, comme le sésame, l’arachide ou le coton, que l’on peut expédier sur les marchés d’Europe ou de l’Union, sans perspective de pouvoir jamais trouver une occupation sérieuse dans cette ville furieusement endormie de Sainte-Marthe, j’ai pensé que me condamner à ne pas gagner un sou de longtemps, c’était aussi me condamner à ne pas te revoir de longtemps, et je me suis décidé à quitter la ville enchanteresse de Sainte-Marthe.
Riohacha est loin d’être aussi belle, mais en revanche il y a beaucoup plus d’activité commerciale et la ville, au lieu de tomber en ruines comme Sainte-Marthe, s’agrandît presque à vue d’œil. Elle est située dans une grande plaine sablonneuse à l’embouchure de la jolie rivière de Calancala, et si ce n’était la Sierra Nevada qui dentelle au loin l’horizon de ses pics neigeux, la campagne parsemée d’acacias épineux, de cactus et de cierges en colonnes ne laisserait pas que d’avoir un aspect singulièrement triste ; mais n’y a-t-il pas la mer, la mer, dont j’entends en ce moment la mugissante respiration et qui me parle sans cesse des rocs pyrénéens sur lesquels elle s’est brisée ?
Riohacha est bien intéressante aussi à un autre titre, c’est la dernière ville que les Espagnols aient osé fonder sur les confins de la province encore sauvage des Goajiros. On peut même dire que c’est une ville