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le Sinaï, environné de tonnerres et d’éclairs. J’ai vu tel maître refusant à son esclave le droit d’avoir une volonté et lui révéler ainsi les droits de l’individualité humaine ; j’ai vu tel journal défendant l’arche sainte de l’esclavage parce que c’est un mal nécessaire, parce qu’il fait une chaleur de 100° en été, et parce que les nègres seuls savent buter les cannes. C’est beau de voir cette guerre acharnée de la presse, de la discussion, de la causerie du jour, de la nuit, de tous les instants contre ce fantôme insaisissable de la liberté humaine ; pas un nègre, pas un blanc qui proteste à haute voix en faveur des droits de l’homme, pas une parole, pas une ligne n’affirme dans tout le sud que l’homme est le frère de l’homme, et, pourtant, tout journal, tout planteur, toute femme s’acharne sur le silence, écume et rugit sûr ce rien, sur ce souffle qui vient on ne sait d’où, que personne n’a poussé et qui menace de balayer devant lui tout ce qui fut. Quant aux sophismes qu’on emploie, je me dispense de les reproduire ; tu n’as qu’à te rappeler les brochures de la rue de Poitiers pour te figurer les inepties des journaux de la rue du Camp.

Pour ceux qui voient l’avenir, la question git donc, comme dit Gaubert, dans le quand, le comment et le combien ; pour la solution de ce problème, voici des faits qui peuvent t’intéresser.

D’abord, la proportion des nègres et des blancs se déplace constamment en faveur de ces derniers. Les niais craignent que les noirs s’émancipent là où ils sont plus nombreux que les blancs, tandis qu’il n’y a d’espoir pour eux que là où ils sont en minorité. Quand ils sont nombreux, ils ont l’esprit du troupeau, et non pas celui de l’homme ; là où ils sont seuls, ils mesurent leur adversaire de regard à regard. D’ailleurs tous les blancs qui