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Deuxième Partie.

Un ^iilâm ou cavalier nomade en voyage rencontra un jour, à la porte d’une ville, un vieux prêtre courbé par l’âge qui, d’une main, s’appuyait sur sou bâton, et, de l’autre, tenait tout près de son œil droit un livre que, tout en cheminant, il

])araissait lire avec beaucoup d’attention. En

même temps, il pleurait. Le gulâm lui cria : «Salut à vous, sayyid !» — «Et à vous le salut !» répondit l’autre.

«Pour-

quoi, sayyid, vous en allez-vous ainsi i)leurant ?» — «Ah ! mon fils ! c’est que je suis vieux et que je n’y vois plus du tout de l’œil gauche.»

«Voilà, certes, un grand mal, dit le cavalier, mais puisque vous n’êtes plus jeune, u’avez-vous pas eu le temps de vous y faire ? Ce n’est pas pour cela que vous gémissez si fort.»

«Je pleure sans doute })Our une autre cause encore», répliqua le sa3vid ; «c’est que je lis en ce moment le Livre de Dieu, et en considérant combien c’est beau, juste et bien dit, je ne saurais me défendre de verser des larmes de tendresse.»

«Vous en avez sujet

assurément, repartit le cavalier ; mais à votre âge, sans doute ce n’est pas la première fois que le coran est dans vos mains, et le connaissant de reste, votre admiration a eu le temps de s’émousser. »

«Vous avez raison, mon fils ;

mais c’est que, voyez vous, à bien considérer plus d’un passage, on croit comprendre que si l’apôtre de Dieu avait écouté plus attentivement la révélation de l’archange Gabriel, il nous y serait commandé tout le contraire de ce que nous y trouvons. »

«Vous avez peut-être raison, sayyid, mais pourquoi en gémir ? Ce qui est juste en soi, faites-le sans vous soucier des prescriptions maladroites.»

Ici le sayyid se mit à san-

gloter beaucoup plus fort et, d’une voix entrecoupée, il s’écriait, tout en branlant les mains : «Si ce n’était encore que cet imbécile de Prophète ! Mais n’est-il pas évident, en plus de dix endroits, que Gabriel lui-même n’a pas compris le }»remier mot de ce que le Tout-Puissant lui dictait !» — Ici le cavalier se mit à rire, et il allait encore chercher à presser le sayyid de prendre ses propres réflexions en patience ; mais, tout en devisant, ils avaient dépassé la porte de la ville, et