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Deuxième Partie.

afin que «la perle puisse entrer dans la moule de l’existence» (Abu Sa’îd). Encore plus : il faut renoncer non seulement à ce monde-ci, mais aussi à l’autre. La lâété ne doit pas avoir

pour base le dcsir du paradis.

J’iillai voir le médecin, et je lui exi)liquai ma douleur cachée. Il dit : «Sois muet envers tous, excepté envers l’ami». Je demandai : «Que dois-je manger ?» — II répondit : «Le sang de ton propre cœur».

Je demandai : «De quoi dois-je m’abstenir ?»

Il répondit : «Des deux mondes». (Abu Sa’id, Ethé no. 18.)

Beaucoup de sûfis allaient jusqu’à regarder même le bien et le mal comme des formes sans importance pour le ’ârif. Bien que cette théorie de l’émancipation des lois morales n’eût pas, de la part des mystiques sincères, des conséquences pratiques, vu leur indifférence envers le monde, Abu Sa’îd voyait le danger qu’elle contenait, et blâmait sévèrement Avicenne qui avait soutenu que, par la grâce de Dieu, il était affranchi du bien et du mal^

Il dit aussi, qu’il est inutile de se parer à l’extérieur d’habits purs, si le cœur est impur. (Ethé no. 51.)

Un autre égarement vers lequel Avieenne inclinait^, et qui devait devenir de plus en plus commun, était celui de jouir des plaisirs du monde, du vin et de l’amour bien réels et bien substantiels en y voyant le symbole du plaisir mystique, de l’union avec Dieu. C’est encore Abu Sa’îd qui reprend cette tendance pernicieuse :

Il reste en arrière, celui qui a lié son cœur aux belles et qui n’a jamais pu s’arracher à l’amour des «idoles». Il voit, dans la forme (sàretj du limon, le symbole (mana) de l’esprit et reste là, le pied du cœur enfoncé dans la fange, jusqu’au jour de la résurrection.

(Etbé no 90.)

Enfin un des quatrains d’Abû Sa’îd nous montre que, pour beaucoup de personnes, le sufisme était devenu, déjà à son temps, une espèce de formalisme : 1V.p.31.

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«() échanson, où est la coupe de l’eau salutaire ? où est le miroir (jui rellète l’image de Dieu ?» (Ethé, Gott. Nachr. 1875 quatr. 11 .)