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Deuxième Partie.

tous ont agi de même. Cependant le ketmrm n’est pas pratiqué seulement par nécessite, par crainte du martyre, mais aussi par respect de la croyance qu’on professe et par mépris pour les adversaires.

La sainteté de la foi augmente à me-

sure qu’elle est enveloppée dans de profonds mystères qui déroutent les investigateurs, et les sots (nridân, na alil) qui n’ont pas trouvé la vérité, ne méritent que d’être joués^ En même temps le Persan est un homme poli et aimable qui préfère proférer un mensonge flatteur qu’une vérité désagréable, et un fin railleur qui aime à blaguer les curieux. Et ce goût date des temps les plus anciens ; on en voit la preuve dans ce fait que les Perses ont fait croire au crédule soldat Ammien Marcellin, qu’ils «fuient les festins magnifiques, la luxure, et surtout l’avidité de boire comme la peste»^. Malgré tout cela, malgré les flatteries ridiculement exagérées, les feintes et les mensonges efifrontés, le Persan n’est pas hypocrite.

Qu’on le croie ou non, il n’y tient pas beaucoup ^, il ne ment pas tant pour le profit que parce que ce jeu intellectuel lui plaît. L’hypocrisie proprement dite (sains, rià) ne trouve jamais en lui un défenseur. Les ascètes et

les moralistes sévères qui péchaient à la dérobée n’ont jamais fait défaut, il est vrai, mais ils sont toujours en abomination aux Perscins comme à tout le monde, et les poètes ne ménagent pas leurs termes en parlant de cette sorte de personnes.

«Un croyant se hausse, par ce fait, en état permanent de supériorité sur celui qu’il trompe, et fût ce dernier un ministre ou un roipuissant, n’importe ; pour l’homme qui emploie le Ketmân à son égard, il est, avant tout, un misérable aveugle auquel on ferme la droite voie, qui ne la soupçonne pas ; tandis que vous, déguenillé et mourant de faim, tremblant extérieurement aux pieds de la force abusée, vos yeux sont pleins de lumière ; vous marchez dans la clarté devant vos ennemis. C’est un être inintelligent que vous bafouez : c’est une bête dangereuse que vous désarmez. Que de jouissances à la fois !» (Gobineau ; Les Religions et les Philosophies p. 15 — 16.) 2 Amm. Marcell. XXIII . 6, 76.

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Cf. Polak : Persien, das Land und seine Bewohner I. p. 10.