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ment la rigueur des raisonnements, mais encore l’exactitude des règles de Leibniz. Cette opposition fut utile, en forçant les géomètres infinitésimaux à donner une forme nette aux principes contestés, qui peut-être n’avaient été mal compris des uns que pour avoir été jusque-là mal expliqués par les autres. Leibniz lui-même, que les plus grands géomètres de l’Europe avaient enfin admiré et compris, loin de s’envelopper dans sa gloire et de mépriser les critiques, ne dédaigna pas de répliquer avec courtoisie à des adversaires qu’il estimait malgré la faiblesse de leurs arguments. Sa réponse au Journal de Trévoux est restée célèbre par une concession singulière qui semblerait passer condamnation sur le manque de rigueur qu’on lui reprochait ; il assimile en effet les infiniment petits des divers ordres à des grandeurs incomparables à cause de leur extrême inégalité, comme le serait un grain de sable par rapport au globe de la terre. Un tel langage, il faut l’avouer, ne signifie rien de précis et conduirait à confondre l’infiniment petit avec le très petit. Leibniz ressemble dans cette circonstance, dit Fontenelle, à un architecte qui a fait un bâtiment si hardi qu’il n’ose lui-même s’y loger, tandis que d’autres, plus confiants que lui, s’y logent sans crainte, et qui plus est, sans accident. Mais à cette citation, on doit ajouter que, la lettre de Leibniz n’étant pas écrite pour des géomètres, la concession qui semble trop timide n’était peut-être que prudente.

J. Bertrand.