Page:Rebière - Mathématiques et mathématiciens.djvu/105

Cette page a été validée par deux contributeurs.
92
MATHÉMATIQUES ET MATHÉMATICIENS

il n’y a point à balancer, il faut tout donner ; et ainsi, quand on est forcé à jouer, il faut renoncer à la raison, pour garder la vie plutôt que de la hasarder pour le gain infini aussi prêt à arriver que la perte du néant.

Car il ne sert de rien de dire qu’il est incertain si l’on gagnera, et qu’il est certain qu’on hasarde, et que l’infinie distance qui est entre la certitude de ce qu’on s’expose et l’incertitude de ce qu’on gagnera égale le bien fini qu’on expose certainement à l’infini qui est incertain. Cela n’est pas ainsi : tout joueur hasarde avec certitude pour gagner avec incertitude ; et néanmoins il hasarde certainement le fini pour gagner incertainement le fini, sans pécher contre la raison. Il n’y a pas infinité de distance entre cette certitude de ce qu’on s’expose et l’incertitude du gain ; cela est faux. Il y a, à la vérité, infinité de distance entre la certitude de gagner et la certitude de perdre. Mais l’incertitude de gagner est proportionnée à la certitude de ce qu’on hasarde, selon la proportion des hasards de gain et de perte ; et de là vient que s’il y a autant de hasard d’un côté que de l’autre, le parti est à jouer égal contre égal ; et alors la certitude de ce qu’on expose est égale à l’incertitude du gain ; tant s’en faut qu’elle soit infiniment distante. Et ainsi notre proposition est dans une force infinie, quand il y a le fini à hasarder à un jeu où il y a pareils hasards de gain que de perte, et l’infini à gagner. Cela est démonstratif ; si les hommes sont capables de quelques vérités, celle-là l’est.

Pascal.

Nous devions citer ce morceau célèbre, mais nous nous empressons d’y joindre le commentaire de M. J. Bertrand :