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LES NUITS CHAUDES DU CAP FRANÇAIS


et de se glisser hors de la chambre sans se laisser voir. Sa mise, d’ordinaire très simple, parfois même malpropre, était cette fois d’un soin et d’un apprêté extrêmes ; elle avait une chemise de soie à rubans, une jupe de mousseline sur une candale rayée, et elle portait aux mains des bracelets de rassade. À mon entrée dans la chambre, elle devait être couchée ; comme mon regard s’était tourné d’abord du côté opposé au lit, elle espérait peut-être se dérober.

Lorsqu’elle se vit découverte, elle s’adossa au lit et, d’un air honteux, se protégea la figure de ses mains, mais entre ses doigts je la voyais rire. Sa gaîté insultante me donna l’idée de la frapper.

— Pourquoi es-tu ici ? que faisait cet homme ? m’écriai-je en écartant ses mains et en la souffletant.

Tout de suite son air narquois disparut ; et ses yeux se remplirent de larmes.

Maîtress ! fit-elle d’une voix étouffée, avec un gémissement.

— Tu te moques de moi ! lui dis-je, mais je vais te vendre, et sans tarder.

Elle se redressa fièrement et, me regardant en face, d’une voix assurée :

Maîtress, mô libre !

— Et que m’importe, lui criai-je, que tu sois libre ! Tu serais la femme du gouverneur, espèce de racoleuse d’hommes, traînée de boue, que je te fouetterais comme une bozale[1].

  1. Négresse nouvellement débarquée d’Afrique et, par suite, inexperte et sauvage.