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LES NUITS CHAUDES DU CAP FRANÇAIS

— Zinga, appelai-je, en entr’ouvrant le salon, apportez des raisinades.

Je pensais qu’elle était assise devant la porte. Mais je n’eus pas de réponse. J’allais voir où elle se trouvait lorsqu’un nouveau visiteur entra, et que nous n’attendions point, certes ! le révérend Samuel Goring.

C’est un petit homme bossu, avec une énorme tête à jaunisse dont le menton semble être toujours tiré, allongé par des mains invisibles. Ses yeux vairons sont inquiets, troubles, de la couleur d’une eau saumâtre ; défiants, tournés de côté, en yeux de lapin, comme s’ils craignaient que quelque chose ne vint déranger la bosse de leur propriétaire ; ou bien enfoncés sous les poils roux épars qui lui tiennent lieu de sourcils, comme s’ils ne voulaient voir le monde que de loin, en contemplateur. Les jeunes filles aiment entendre prêcher le révérend, car, à la fin de ses sermons, il a une manière de poser l’extase, en levant le front vers le ciel et en laissant la bouche toute grande ouverte à la manne divine, qui est impayable. En ces moments-là, le manteau dont il est enveloppé même par les plus grandes chaleurs, glisse le long de son dos contrefait et emporte son chapeau à larges bords. Aussitôt Agathe, Antoinette, toutes, nous nous précipitons pour le lui ramasser. Quand c’est une jeune fille qui arrive la première, il lui donne une tape sur la joue, et pousse au fond de lui-même un grognement sourd, mais où l’on devine de la reconnaissance ; quand c’est une de ces dames ou moi, du bout des dents et