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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE


lourds nuages, a subitement assombrie et qui nous étreint de la menace infinie et obscure de ses vagues. Elles sont confondues en une montagne mouvante qui s’avance lentement vers nous, qui brille ici de l’éclat dur d’un métal en fusion, et là-bas, jusqu’à l’horizon, se creuse, plonge en une profonde vallée de ténèbres. Au large, dans l’immensité, un lac glauque, lumineux et tranquille semble dormir.

— Regardez donc, ma chère amie, dit Mme Du Plantier, cette admirable clarté d’émeraudes. Cela me rappelle la jupe que je portais au bal du gouverneur. Vous la voyez, ma chère, cette toilette qui m’avait été envoyée de Paris ?… le bas de la robe en crêpe blanc, la jupe vert d’eau, couverte de crêpe rayé en papillon d’argent. La couturière de la reine l’avait faite pour la comtesse de Chimay qui l’avait trouvée trop chère, et comme j’ai absolument sa taille, c’est à peine s’il y avait eu besoin de quelques retouches.

Mme Du Plantier parle en se rengorgeant avec un jeu bien amusant de mentons, dont les uns ont l’air de crever, tandis que d’autres en dessus ou en dessous naissent et grandissent.

— Ma toute belle, lui dis-je, au prochain bal du gouverneur, vous devriez vous déguiser en paon. Cela vous irait à ravir.

— Vous croyez ? a-t-elle répondu, sans comprendre.

Antoinette regardait à une fenêtre ; elle avait le haut du corps un peu penché, et ses hanches s’arron-