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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE


inconnu, on change le fond de quelques-unes des barriques qu’il vous a fournies, et on le remplace par un bois plus lourd et qui, pesant davantage, permet d’y mettre moins de sucre ; ou bien, on remplit la barrique à plusieurs reprises, de telle sorte que le premier sirop s’étant refroidi, les sirops qu’on verse ensuite se figent et se condensent, ce qui donne tout de suite un poids considérable. Je sais bien que cela enlève au sucre un peu de sa finesse mais à part des experts, je ne connais guère de gens qui puissent s’apercevoir de ce procédé, je le répète, tout naturel. L’abbé de La Pouyade ne s’en est pas moins permis, à ce sujet, une plaisanterie.

— Quand le bon Dieu vous demandera de goûter votre sucre, madame, prenez garde de vous tromper de barrique.

— Oh ! il est avec le ciel des accommodements, a repris Mme de Létang, et même avec la terre d’ailleurs, quand on est jolie femme,

— Vous le savez sans doute mieux que moi, ma chère, ai-je répondu sur le même ton.

Nous sommes tous sortis de la sucrerie de fort méchante humeur, et le spectacle qui nous attendait, n’était point pour nous réjouir. Le commandeur, qui était de retour, avait fait aligner une vingtaine de jeunes négresses, dans le jardin, à quelques pas de la maison, et un Frère des Missions les examinait une à une, leur touchant le ventre, du bout des doigts, collant l’oreille sur leur abdomen, en des mouvements répétés et indécis.