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LES NUITS CHAUDES DU CAP FRANÇAIS

— Rien, mon enfant, ai-je répondu, car je voulais l’éloigner de ce répugnant spectacle ; mais il a fallu que cette sotte d’Agathe lui apprit l’accident :

— C’est une négresse qui vient de se faire couper la tête.

Mme de Létang s’est alors approchée, ramenant contre ses pieds sa robe et son jupon et les relevant un peu de crainte que le sang qui coulait du moulin ne les tachât, elle s’est mise à examiner avec curiosité la tête de la morte.

— C’est affreux ! a-t-elle fait, comme ces esclaves sont imprudentes !

— Faut-il continuer ? a demandé Robert, le mulâtre qui remplaçait mon commandeur alors absent.

— Faites porter par des négresses la tête de Jacqueline dans sa case, lui ai-je répondu, on l’enterrera demain, et continuez le travail.

— C’est que l’un des conducteurs est son mari.

Berchoux, en effet, avait épousé Jacqueline l’année dernière, mais l’accident ne l’émouvait guère ; toujours assis sur la volée qui termine le bras du moulin, le fouet à la main, prêt à activer ses chevaux, il conservait un visage impassible.

— Vous le ferez fouetter ce soir, m’écriai-je, indignée de cette indifférence ; oui ! vous le ferez bien fouetter, pour lui apprendre à arrêter son attelage quand on le lui commande. C’est son insouciance impardonnable qui est cause de cet accident.

L’abbé de La Pouyade me dit alors à mi-voix :

— Ce n’est pas un accident mais un crime.