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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE


bours ; distraite par Mme de Létang, Jacqueline riait avec un sourire envieux à ces façons de petite maîtresse quand, tout à coup, son bras s’est trouvé engagé entre les tambours. Avec une rapidité effroyable, nous l’avons vue se jeter, disparaître entre les pressoirs ; un cri perçant s’est fait entendre puis un horrible hurlement étouffé par le ronflement de la machine, le clic-clac des fouets, le trot des chevaux : le moulin tournait alors à toute vitesse.

— Arrêtez-donc, voyons brutes ! ai-je crié à Berchoux et à Canqueteau, les deux nègres conducteurs qui poussaient les attelages au lieu de les arrêter comme s’il n’avaient rien vu de l’accident.

Il était trop tard ; les tambours avaient entraîné la malheureuse ; le corps avait suivi le bras ; un filet de sang qui coulait du moulin et je ne sais quelle bouillie qui engluait les cylindres étaient tout ce qui en restait. Quant à la tête, coupée violemment par les dents d’engrenage, elle s’était détachée du tronc et était tombée hors du moulin. Les yeux, agrandis par le désespoir, l’épouvante, une douleur excessive, la langue collée à la lèvre inférieure ; la bouche qui s’ouvrait comme pour crier, tout le visage révélait l’atrocité du supplice.

L’abbé de La Pouyade s’est approché et faisant le geste de la pénitence :

Ego te absolvo, in nomine Domini.

— Qu’est-ce qu’il y a ? a demandé Antoinette qui tournait la tête vers les cabrouets chargés de cannes que les négresses ramenaient des champs.