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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE


cela dans ce journal, j’y réfléchirai ensuite plus aisément et j’aviserai mieux aux moyens de lutter contre mes ennemies secrètes et de protéger ma chère enfant.

J’étais allée visiter avec Antoinette le moulin et la sucrerie. Nous ne ferons la grande récolte qu’après la Saint-Jean, mais nous voulions voir si le moulin fonctionnait bien, et je fis couper des cannes de repousse de l’année dernière, qui étaient déjà mûres. J’expliquais à Antoinette le système du moulin, comment les deux bras tirés par une paire de chevaux, mettent en branle l’arbre qui, à son tour, active le jeu des trois gros tambours entre lesquels les négresses font passer les cannes pleines, puis les bagaces.

Mme de Létang arriva, en compagnie de l’abbé de la Pouyade, vêtus l’un et l’autre avec une élégance telle qu’on aurait dit qu’ils allaient en visite de cérémonie.

Mme de Létang portait une robe de taffetas, chiné à raies vertes, bordée de blonde d’Alençon, relevée sur un jupon de taffetas rose, bordé également de dentelles ; son fichu très ouvert et à peine noué par des ganses de soie rose laissait voir entièrement sa gorge. Une anglaise amadis, à grands pans, lui faisait une taille d’une finesse exagérée sur ses énormes paniers, une boucle de brillants fermait sa ceinture et une autre pareille retenait sur son chapeau jardinière une touffe de plumes blanches.

Je sais qu’elle a de beaux yeux noirs quoique un peu bêtes, des dents petites et bien taillées, encore qu’elle les montre trop souvent ; et, malgré une pré-