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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE

tremble quand je songe que sa grâce l’expose à tant de séductions misérables… Que lui voulait aujourd’hui cet inconnu ?

Ce que j’ai surpris, ce qui m’est arrivé aujourd’hui, me remplit d’inquiétude. Je crains, en voulant être trop habile, d’avoir manqué de prudence. Il y a tant de corruption et de méchanceté dans cette société du Cap qu’il faut à chaque instant me défendre et défendre Antoinette. Le vice et l’envie nous entourent. La grâce d’une enfant et un peu de fortune, il n’en faut pas davantage pour irriter toutes les convoitises.

Si Zinga voulait être silencieuse, mais elle est mariée ! Je sais bien qu’elle me caresse peut-être avec plus de plaisir que son mari. C’est un commandeur si rude par ses façons lourdes, son embonpoint embarrassant, sa face épaisse de mulâtre ! Quand il n’effraie pas, il provoque au rire plus qu’à l’amour. Il ne paraît d’ailleurs pas moins brutal avec sa femme qu’avec ses esclaves. Je crois qu’il m’est dévoué, et pourtant ce matin, en entrant chez eux à une heure où ils ne m’attendaient point, j’ai surpris une singulière conversation. Ils me tournaient le dos et étaient si préoccupés de leur causerie qu’ils ne m’ont pas entendue.

— Pourquoi trahis-tu les tiens ? disait-il, pourquoi ne me montres-tu pas plus de confiance ? Tu oublies