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LES NUITS CHAUDES DU CAP FRANÇAIS


et qui se répandait en moi brûlante, savoureuse comme un vin de fruits et de piments.

Comment ai-je pu vivre près d’elle et l’ignorer jusqu’aujourd’hui.

Je l’étreignis et je la baisai. La chérie me mit toute son âme fraîche ! sur les lèvres, et je sentis ses larmes comme une rosée matinale humecter mes joues ; puis, voulant la laisser reposer, je regagnai doucement mon lit.

J’étais à peine couchée que Zinga apparut devant mon lit, riant de ses dents fines et de ses grosses lèvres entr’ouvertes qui me donnent à la fois l’idée d’un fruit suave et d’une gueule venimeuse. Son être est fait de contrastes. D’allures légères et de pieds lourds, gracieuse de traits, mais effrayante par l’expression de sa physionomie, cette jeune noire respire un vice naïf, une haine caressante qui me remplit d’horreur. Dire que je pensais oublier le passé, refaire mon existence, ne rien laisser subsister en moi de la femme d’autrefois !… et la seule vue de cette fille moqueuse me rappelle mes fautes, — mes crimes, hélas ! Ah ! si je pouvais la vendre ! Mais elle sait bien que cela n’est pas possible ! elle me dénoncerait à ses nouveaux maîtres, — on ne la connaît pas, elle, et moi on me soupçonnerait ; et puis il serait si facile de savoir tout ce que j’ai fait ! Si je la tuais ?… Peut-être. J’y songerai. Ce n’est qu’une esclave, après tout. Mais les mœurs deviennent si étranges à présent ! Madame Du Plantier a eu des ennuis pour avoir châtié trop rudement son vieux Jeannot qui, pour-