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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE


cette âme d’un amour auquel elle ne songe pas encore ? Son enfance lui est légère ; elle s’y attarde, dirait-on, avec délices. C’est vrai. Cependant l’image d’un jeune amant pourrait bien la ravir aussi. Et puis qu’importe qu’elle aime ou qu’elle reste innocente ! J’ai besoin, moi, qu’elle se marie ; il faut que je sache son opinion sur Montouroy. Elle l’aime peut-être. Et si elle ne l’aime pas, elle l’épousera tout de même. Pourtant je ne voudrais pas avoir trop l’air de la contraindre.

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Je suis entrée dans la chambre ; je me suis approchée du lit. Comme sa bouche large, charnue, entr’ouverte, comme ses paupières aux longs cils, bien arrondies et baissées, lui donnent de grâce ! Le jour, quand elle laisse voir son regard, elle trahit moins sa pensée que dans ce sommeil ingénu et souriant. Un peu de feu anime son teint ; ses cheveux châtains, aux touffes opulentes, sont répandues ici et là sur l’oreiller ; de ses pieds unis, elle foule les draps rejetés au bas du lit, et, comme pour corriger ce désordre, son bras, d’un geste pudique, ramène la chemise sur son sein.

Jamais je n’aurais soupçonné qu’elle pût être aussi jolie. J’ai eu soudain pitié d’elle. Quelle destinée atroce m’a livré cette malheureuse enfant !

Mais, dominant une émotion si nuisible à mes intérêts, j’ai hâté le réveil d’Antoinette, en levant l’abat-jour du flambeau. À la clarté subite qui tom-