Page:Rebell - Les nuits chaudes du cap français, 1900.djvu/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
39
JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE

Je lui avais saisi le bras, m’avançant toute vers lui, haletant contre sa poitrine, mais il se dégagea légèrement, et me saluant avec un sourire :

— Une autre fois ! Vous savez bien qu’il est trop tard ce soir pour que je vous parle longtemps. On dirait dans toute la ville…

— Méchant ! lui criai-je comme il sortait de la chambre.

Que lui a-t-on raconté sur la négresse ? Est-ce atroce ? Non, car il ne viendrait plus ici. Je lui ferais peur. Sa visite doit plutôt me rassurer. Et puisque je l’ai à ma disposition, ce jeune homme, je dois me servir de lui. C’est même étrange que je n’y aie pas songé plus tôt. Qu’il épouse Antoinette, oui ! qu’il l’emmène et me délivre pour toujours de cette enfant dont la vue même m’est un remords. Absente, je ne penserai plus à elle, je n’aurai plus souvenir des événements qui l’ont conduite dans ma maison ; je ne redouterai plus que les indiscrétions, les colères de Zinga lui révèlent le passé et me dénoncent à toute la ville. Je finirai par croire, comme tout le monde, à ma charité. Je serai, à mes yeux, « la bonne Madame Gourgueil ».

Mais aux yeux de Dieu ?…

Et si Dieu n’existait pas ?… Mme du Plantier est athée ; le docteur Chiron aussi. Ce sont des êtres intelligents pourtant, aussi intelligents que moi, et beaucoup plus instruits. Peut-être ma croyance vient-elle de mon éducation, et de cette bête de tante qui me faisait tout le jour, quand j’étais fillette, ânonner le