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LA VENGEANCE D’UN INCONNU

Cependant, avec une persistance, une régularité inexplicable, les épîtres amoureuses de Dubousquens arrivaient chaque matin à Thérésia. Elle ne les montrait point à Tallien, et les mettait dans un petit bonheur du jour où elle conservait tout ce qui lui rappelait ses caprices ou flattait son âme vaniteuse. Bien qu’assez lasse d’une poursuite si opiniâtre, elle avait jugé convenable de ne point repousser brutalement une passion dont elle pouvait plus tard avoir besoin de tirer profit ; sans rien faire pour l’encourager, elle voulait attendre.

Mais ce qu’elle supportait d’abord sans trop d’ennui, lui devint bientôt odieux. Les lettres, peu à peu, avaient changé de style. Ce n’étaient plus d’humbles supplications, d’idolâtres prières, mais des ordres et des menaces, puis des insultes.

Enfin la mesure fut dépassée. Un matin la servante Frénelle vit sa maîtresse blême, tremblante d’émotion, les yeux en larmes, sauter à bas de son lit, se précipiter vers Tallien, lui tendre le papier bouchonné, déchiré comme si on avait voulu le détruire et qu’on se fût, après coup, décidé à le conserver.

— Lis ! lis ! disait-elle. C’est inouï !

Tallien commença à haute voix, mais il s’arrêta à la première ligne :

« Immonde prostituée, toi qui t’es vendue à tout Bordeaux, toi que le dernier des portefaix a pu trousser sur le pont… »

Le reste était encore plus insultant.