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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE

— Maîtresse, on veut t’empoisonner, moi viens t’avertir.

— M’empoisonner ! Qui donc oserait m’empoisonner ?

J’affectais une assurance et un orgueil que j’étais loin d’avoir. En ce moment même mes horribles douleurs m’avaient reprise ; et ma voix étranglée et le tremblement de mon corps, tout trahissait bien ma terreur. Pourtant, les lèvres sèches, je répétais :

— Qui oserait ?

— Qui ? répliqua Zinga. La demoiselle !

— Antoinette ! m’écriai-je, et, à l’idée d’un crime si monstrueux, il me sembla que la lumière se retirait du ciel et que la vie s’enfuyait de mon être.

— Oui, Antoinette, reprit Zinga d’une voix assurée, la physionomie aussi calme, aussi tranquille que celle d’une statue.

— Misérable ! misérable ! m’écriai-je en la saisissant à la gorge, oses-tu insulter mon Antoinette ? Ah ! tu ne mentiras plus, va ! je vais te tuer.

Elle râlait et se débattait dans mon étreinte ; seule la rapidité de l’attaque avait pu me rendre un instant victorieuse ; elle avait le corps trop robuste, et Figeroux et les autres esclaves l’avaient trop bien habituée à des luttes de ce genre pour qu’elle ne pût reprendre l’avantage.

Elle se dégagea donc très vite et, me repoussant violemment, elle se mit à courir dans la direction du Cap. Courant aussi, je la poursuivais.