Page:Rebell - Les nuits chaudes du cap français, 1900.djvu/192

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
190
LES NUITS CHAUDES DU CAP FRANÇAIS


sons. Et d’ailleurs à part vous, moi, la Létang peut-être, est-ce que les femmes comptent à Saint-Domingue ?

Me prenant alors par le bras elle m’entraîna au dehors. Je la suivais, je lui obéissais, sentant en elle comme une force supérieure.

— Je veux vous montrer, me dit-elle que je n’ai pas conquis ceux de votre race pour devenir le jouet des noirs…

Elle me conduisit à quelques pas jusqu’à un terrain vague qui s’étend de l’extrémité de la ville jusqu’au Morne des Capucins. Là grouillait, bruissait, dans une fête qui ressemblait à une bataille, la foule des noirs où j’avais failli disparaître tout à l’heure, à mon arrivée.

À la lueur tremblotante des lanternes, les coiffures énormes et légères, les bonnets de tulle et de mousseline, les jupes de serge claire, les cercles dorés des oreilles et les colliers de rassade, au-dessus et parmi cette armée immense de têtes crépues et de corps bronzés, flottaient comme des papillons de nuit, des insectes brillants, des libellules et des fleurs d’eau sur un sombre marécage. La fange humaine augmentait toujours ; derrière elle, les hautes montagnes semblaient la vomir avec sérénité ; elle exhalait une odeur lourde et laineuse, de fourrure chaude, de linge humide, de peau en sueur et d’haleines corrompues, elle répandait une rumeur confuse, sorte de lamenta-