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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE


Montouroy sera marié, je gouvernerai réellement Saint-Domingue derrière eux, et croyez que je saurai en tirer tout l’or et exercer toute l’autorité dont je suis ambitieuse.

Cette négresse me remplissait d’effroi et d’admiration. Je me demandais si j’étais en présence d’une folle ou d’une sorte de génie monstrueux et pervers.

— Il n’y a que deux obstacles à mon projet, continua-t-elle. Le premier c’est la Létang. La Létang est la maîtresse du gouverneur, elle aime Montouroy, mais elle l’aime en despote, et ne veut pas d’un mariage qui nuirait à sa puissance. Le gouverneur ne fera rien contre moi, mais il ne désobéira point non plus à sa maîtresse.

» Quant à Agathe de Létang, voici comment elle est ici.

» Montouroy, ne pouvant obtenir votre consentement ni celui d’Antoinette, décida de s’en passer. Deux nègres devaient enlever votre pupille en votre absence. Mais les nègres trouvèrent Antoinette avec Agathe. Soit méprise, soit crainte que la restante ne les dénonçât, ils les enlevèrent toutes deux : seulement l’un des nègres, poursuivi et serré de près par vos esclaves, abandonna Antoinette ; l’autre revint avec Agathe à un pavillon que possède M. de Montouroy à l’entrée du Cap. J’y étais venue par hasard, je fus ainsi avertie de l’enlèvement avant Montouroy, et je me réjouis que l’entreprise eût eu ce résultat. Je fis conduire aussitôt Agathe chez moi liée et bâillonnée, dans un palanquin fermé et entouré de mes