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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE


se tenaient embrassés : « Létang, » dis-je à ma maîtresse, « je n’ignore point que ton mari est un jaloux, je l’ai vu te battre sur le plus léger soupçon, et je suis sûr que, s’il vient à apprendre que tu le trompes, il n’hésitera pas à te tuer, or je vais sur le champ le lui dire… — Je te tuerai avant, vipère ! » s’écria Montouroy qui voulut s’élancer sur moi. Mais, sortant mon pistolet, je l’ajuste et le menace de faire feu s’il avance. « Je n’ai point l’intention de rien dire, » repris-je, « si ta femme veut bien signer mon affranchissement. » Et je lui présente la feuille qui, d’après la loi, doit faire de moi une citoyenne. Mais Létang, qui s’est concertée du regard avec Montouroy, se jette sur moi en même temps que son amant, et, par la rapidité de leur agression, sans pouvoir m’arracher mes armes, il me mettent dans l’impossibilité de m’en servir. « Nous allons t’apprendre à nous épier et à nous dénoncer, » disent-ils. « Tu feras de beaux discours, je te promets, quand nous t’auront tuée ! — Tuez-moi, » dis-je, « mais il y a des esclaves qui me vengeront. » Et je pousse un cri d’appel. C’était une ruse. Je n’avais personne avec moi. Mais le hasard me servit. Il y eut à ce moment un grand bruit dans la maison : sans doute un esclave qui rentrait furtivement de la ville s’était heurté contre un meuble, un siège quelconque, et l’avait renversé ; mais ce bruit, survenant après ma menace, la leur rendit terrifiante. Ils crurent qu’il y avait réellement des noirs cachés dans la maison. « Eh bien, dit Montouroy, Mme de Létang va t’affranchir, mais décampe. »