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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE


que c’était une jeune esclave et je lui demandai mon chemin :

— La maison de Nanette Berthier ?

On poussa un cri, une porte fut ouverte précipitamment et un flot de lumière se répandit aussitôt dans le corridor. Je tressaillis : la personne que j’avais prise pour une esclave venait, avant de disparaître, de laisser voir son visage, et en vain me disais-je que mes yeux me trompaient, j’avais bien reconnu Agathe de Létang !

Avant que je fusse revenue de ma surprise, le petit nègre qui m’avait porté la lettre de Nanette aux Ingas, tout habillé de soie rose brochée d’argent, vint au-devant de moi :

— Maîtresse attend Mame Gourgueil, fit-il.

Alors je quittai le corridor sombre et maltenu pour entrer dans un appartement vraiment extraordinaire de luxe et l’incurie, où l’on était d’abord ébloui par une profusion de meubles en bois de rose et d’ébène, ornés d’incrustations en or et en argent massif, où les lumières, le cristal des lustres et les hautes glaces mettaient partout un jeu magique de clartés, qu’adoucissaient à peine çà et là des tentures de l’Inde aux tissus transparents. Ce rayonnement et la violence des parfums âcres et capiteux que l’on respirait dès le seuil me suffoquèrent presque. Mais le petit domestique m’entraînait déjà vers la chambre de sa maîtresse, parmi des couloirs encombrés de toilettes autrefois somptueuses, à présent défraîchies, déformées, passées de couleurs, odorant l’étoffe ancienne et la négresse