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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE


cette multitude, curieuses des verroteries et des menus objets qu’offraient les petits marchands sous les lampes, furent entraînées dans une chica ridicule et fatigante, à trois temps, que ces nègres dansent dos à dos en s’accroupissant, en se heurtant les fesses et en se relevant d’un élan brusque. Au milieu de cette foule les mouvements étaient encore plus grossiers et plus brutaux. Ces brutes lâchaient en dansant des vents infects.

— Bola ! Bola ! criaient-ils lorsque les deux jeunes filles, d’abord essayant de rire, puis effarées, muettes de terreur, se mirent à tourner avec eux. Par ces appels ils leur demandaient de se dévêtir pour danser nues ainsi qu’ils étaient eux-mêmes.

Comme elles ne paraissaient pas avoir même l’idée d’obéir ou de refuser, insensibles aux plaisanteries et aux menaces, on les dépouilla, on leur arracha cotillons, chemise, mouchoirs de cou, et des mains noires et rugueuses assaillirent, se disputèrent ces peaux de blanches. Épouvantée je regardais les noirs, attirée par l’ignoble spectacle comme dans le vertige on est attiré par l’abîme ; moi-même je fus entraînée, emportée vers le tourbillon des grandes ombres bondissantes sous les lampes fumeuses, au milieu des exhalaisons puantes de ces animaux en rut, pincée, frappée, mordue jusqu’au sang par tout le corps. À mes cris Troussot fit le geste de tirer son pistolet, mais Zozo l’arrêta ; un coup de feu eût causé notre massacre ; avec une force étonnante pour son âge, il m’enleva aux bras qui m’étreignaient, et, tandis que

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