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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE


elle, de la frapper, de la déchirer de mes ongles ; puis, un instant après, j’aurais voulu m’éloigner, ne plus la voir, et ainsi oublier ma rage. Mais la curiosité fut plus forte que mon dégoût et ma fureur. Il me fallut rester là, devant ces fenêtres, qu’ils n’avaient même pas la pudeur de fermer. Derrière la haie de lianes nous nous glissâmes, le docteur et moi ; de grandes feuilles retombantes de raisinier nous cachaient suffisamment pour nous permettre de nous approcher et de tout entendre.

Je fus très étonnée que Zinga, au lieu de parler son patois, s’exprimât à peu près comme une blanche qui n’aurait pas été à l’école. S’était-elle donc, ainsi qu’elle en avait devant moi témoigné le désir, « acheté une langue » ? ou bien m’avait-elle trompé en feignant de ne savoir que le créole ?

Je rapporte ici la conversation qu’elle eut avec Dubousquens. Je néglige seulement l’accent, la concision fatigante des nègres qui veulent parler français, quelques expressions grossières ou bizarres dont le sens m’échappe ou que j’ai oubliées.

— Je vois bien que tu ne m’aimes pas, disait-elle. Pourquoi n’es-tu pas heureux avec moi ? Est-ce que je ne sais pas t’embrasser, te donner du plaisir ? Pourquoi m’as-tu prise si tu ne m’aimes pas ?

— Ne joue pas à la passion, ma fille, lui répliquait Dubousquens. Ce serait peine perdue. Je ne suis pas un de ces serins que peut engluer la première venue. À Paris et ailleurs j’ai déjà entendu maintes fois un