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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE


disent que le roi et l’Assemblée désirent leur liberté. Les noirs ne voient pas tous du même œil arriver cet affranchissement de nom qui leur en coûtera peut-être un autre, moins honorable mais plus réel. Les nègres commerçants, en effet, sont pour le moment affranchis d’impôts, et, en dépit des entraves apportées par la loi à leur négoce, comme ils n’ont rien à payer, ils arrivent à se faire de jolis bénéfices ; les esclaves n’ayant pas légalement le droit de vendre, les maîtres qui leur prêtent un nom et une boutique, ne sont pas autorisés à rien leur réclamer, et on leur donne ce qu’on veut. D’un autre côté, les noirs des plantations, établis dans l’île depuis longtemps, ne se soucient pas d’une liberté qui va les jeter à la porte de leurs maîtres, et leur enlever l’assurance qu’ils ont encore de pouvoir chaque jour de leur existence manger leur manioc et reposer leurs corps sous un toit. Chose étrange ! ils se mettent avec ceux des planteurs qui tiennent encore à leurs champs de cannes, et s’imaginent avec raison que des nègres citoyens se croiront déshonorés de cultiver autre chose que la politique ; ils s’unissent même aux petits blancs qui ont un commerce, et redoutent que les marchands noirs, établis par les gros négociants, ne leur fassent une concurrence ruineuse, dès qu’ils auront le droit de tenir boutique. Mais soyez assurée que cette union du bon sens ne tiendra pas contre l’intérêt de quelques grosses fortunes ; l’ambition, la vanité de deux ou trois mulâtres, avides de jouer un rôle ou de venger d’anciennes injures ; la folie enfin de ces nègres bo-