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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE

Autour de nous, séparés par des canaux miroitant au soleil, s’étendaient les champs de cannes aux larges ondulations vertes, où les élagueurs, cachés par les hautes tiges, coupaient les feuilles sèches et mettaient un frémissement continu. Il s’en élevait une plainte sourde, puis vibrante, pareille à l’écroulement des vagues sur le sable, mais perdue, comme le bourdonnement des murmures dans l’air silencieux, la joie et la splendeur de la lumière. Le cri d’une négritte châtiée, les roulements de la sucrerie, les bruits du travail, et les gémissements des esclaves viennent ici se briser entre les montagnes, sont étouffés par les grands arbres, les plantes et les cultures innombrables qui se pressent sur la côte et dans la vallée. Les cases disparaissaient au milieu du floconnement des caféiers, sous la neige fine des cacaoyers. Et partout des grandes feuilles de velours s’étalent, ou se courbent vers nous ; les oranges font plier les branches, et les grappes pendent sous le parasol des colobas. La voix d’un esclave chante :

Si Bonguiè di li bon,
Li divet gagnen so rèzon.

Si le bon Dieu dit que c’est bon, il doit avoir raison.

— Tu fais sagement, pensai-je, pauvre nègre, d’accepter le sort que t’envoie le bon Dieu, ici il faut être heureux ou bien mourir.

Comme devant la magnificence de cette matinée, j’oubliais tout, et le passé, et Zinga, et les appréhen-