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Pourtant, je soupçonnais en lui cette même flamme de passion qui me dévorait. Seulement je ne savais rien de ses sentiments que le dédain poli et aimable qu’il affectait à mon égard. Malheureuse comme j’étais, j’avais le courage de cacher ma misère, par orgueil d’abord, puis par crainte qu’on ne découvrît mon sexe. Il me fallait déjà tant de précautions pour le dissimuler ! Sans doute, le cardinal ne s’occupait que de ma voix, l’abbé Coccone, absorbé par ses travaux, ne me regardait non plus que le frère Gennaro, qui passait son existence dans le mépris de la terre et la contemplation du ciel, mais il n’en était pas de même de Fasol, d’Arrivabene, des valets et des servantes. Leurs yeux, brillants de curiosité, s’attachaient avec obstination sur mes formes, qui avaient perdu leur gracilité et dont les rondeurs naissantes accusaient ma nature.

J’épiais les démarches de mon ami ; je veillais surtout à ce qu’il n’entrât jamais chez le cardinal sans moi. Benzoni, avec un sourire ennuyé, remarquait qu’il ne m’avait pas appelée.

— Je ne quitte jamais Guido, répondais-je.

Il lui donnait des ordres, parfois le faisait réciter des vers, et, après quelques petites caresses, il le renvoyait, sans avoir l’air de s’apercevoir de ma présence. C’est à peine si, de loin en loin, il me priait de chanter avec lui et m’adressait quelque éloge indifférent. Souvent il lui arriva de se plaindre de moi :

— Oh ! que Nichio est ennuyeux, mon petit Guido ; que fait-il ici ?

Mais je restais et il n’osait pas me chasser. Un jour, je pris mon ami à part.

— Guido, lui dis-je, je t’ai aimé quand tu n’avais ni père, ni mère, ni ami, ni personne pour s’occuper de toi ; je t’ai aimé quand tu étais tout seul, qu’on te