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sainteté, personne, plus que le moine de Saint-Marc, n’a droit à la canonisation, car personne, sous couleur de vertu et de charité, n’a mis les gens dans une telle misère. S’il n’était venu parmi nous, ce damné prédicateur, je serais aujourd’hui à Florence, ma chère cité, et j’aurais toujours le petit jardin que mon arrière-grand-père avait acheté à Fiésole, il y a plus de cent ans. Car ma famille avait du bien et était heureuse. Le Magnifique, (dont Dieu ait l’âme), avait remarqué le talent de mon père pour ciseler les armes ; il l’avait employé plusieurs fois à divers travaux et payé généreusement comme c’était son habitude. De plus, sa faveur nous avait valu toute une riche clientèle. Mais, après la fuite de Monseigneur Pierre, lorsque cet avale-pater se mêla de régenter les citoyens et quand toute la ville de Florence fut comme bouche bée à chaque parole qu’il laissait tomber, notre infortune commença. Nous avions d’abord été assez stupides pour le soutenir : nous pensions qu’il ne voulait que le bien des simples citoyens, et qu’il ne poursuivait de sa haine que la richesse, — la richesse impie et exécrable à Dieu, comme il ne cessait de le répéter. En réalité, il ne travaillait que pour les vide-goussets et les coupeurs de bourses. Il suffisait qu’on eût quelques florins chez soi pour qu’il vous considérât comme un ennemi de Jésus-Christ. Déjà les personnes qui faisaient autrefois travailler mon père ne lui commandaient plus rien, dans la crainte qu’on ne les accusât de dépenser leur argent en vanités. Une ciselure, si belle qu’elle fût, semblait une chose inutile aux barbares qui étaient nos maîtres. Bientôt on établit une si forte imposition sur notre jardinet de Fiésole, que mon père se décida à le vendre pour une somme dérisoire. Dès lors, à chaque instant, nous eûmes à subir des vexations. Le Magnifique avait