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je les préfère à ces maman-ne-veut-pas qui sentent par trop le confessionnal, les disputes d’école ou les nuits impudiques d’une longue continence.

— Mon cher Fasol, dit le cardinal, vous manquez d’éducation et de raffinement. Vous êtes un puissant créateur, mais vous ignorez l’art de jouir du monde. Semblable à un fleuve qui reproduit la magnificence du ciel et de ses rivages, toutes les beautés de la terre viennent se mirer en vous, et vous ne les apercevez pas.

Une discussion vive allait s’engager entre le cardinal et le peintre, quand on monta le dîner et nous eûmes l’ordre de remplir les coupes. Après m’être acquittée de cette tache, je saisis le moment où tous les convives étaient occupés, à manger des grives au laurier, — un plat exquis si j’en juge par l’odeur, — et où les domestiques étaient descendus à la cuisine, pour m’approcher de Guido et lui donner un baiser. Comme il me repoussait dans la crainte qu’on ne nous surprît, j’appuyai plus fort que je n’eusse voulu ma bouche sur la sienne et nos lèvres ne surent point rester silencieuses.

L’abbé Coccone, au bruit, leva les yeux sur nous.

— Vous voyez ce qu’ils font, dit-il à demi-voix à Benzoni, vous voyez quelle indécente valetaille vous avez dans votre maison.

— Ils sont assez beaux, s’écria Fasol, pour avoir le droit de s’embrasser.

Benzoni ne répondit rien et se contenta de lancer à Guido un singulier regard dont je ne compris point l’expression. Il me parut très irrité, mais il dissimula sa fureur.

Heureusement, le repas de frère Gennaro, qui ne touchait à rien de ce qu’on apportait sur la table, détourna de nous l’attention. Le moine buvait de l’eau