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L’heure du dîner était arrivée ; nous passâmes dans une salle qui m’éblouit par sa magnificence.

Les peintures éclatantes, aux fonds de pourpre, ressortaient entre les blancs stucs de cariatides et de danseuses sous les lambris de bois précieux et les dorures finement travaillées du plafond. Douze fenêtres, versant à flots la lumière du soleil, illuminaient la table couverte d’une nappe de dentelles où, parmi les coupes, les aiguières, les corbeilles de roses, se voyait la fleur et la joie du festin : une Léda en argent, docile et sereine amoureuse ouvrant ses jambes puissantes aux ardeurs du cygne. Mais ce qui surtout attira mon regard, ce fut la fresque immense qui couvrait les murailles et qui évoquait les batailles d’Alexandre. J’éprouvai je ne sais quelle admiration mêlée de terreur à contempler les engagements de chevaux cabrés aux croupes énormes que balayaient des queues et des crinières volantes ; les hommes, en une lutte sans merci, tendant toute la force de leurs bras et de leurs pieds ; les corps roulant embrassés sur le sol, et les deux sexes mêlés, offrant leurs chairs glorieuses, leurs accouplements emportés que, seules, comme pour justifier le carnage, dérobaient aux yeux de splendides chevelures d’or. Cette fresque était l’œuvre de Paolo Fasol : en la voyant, je ne doutai point que cet artiste ne fût dieu.

Le cardinal s’assit entre Fasol et l’abbé Coccone ; le moine et Arrivabene prirent place devant eux. Nous devions rester debout pour verser le vin aux convives et aider les domestiques.

Comme je demandais bas à Guido quel était ce frère au visage effrayant, il me répondit qu’il se nommait en réalité Gennaro, mais qu’on l’appelait toujours l’Hérétique.

Justement Fasol disait au cardinal :