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— Regardez-moi, s’écria la Petanera, cette bête de moine qui ne voudrait pas qu’une femme se fût moquée de lui.

— J’en ai la prétention, fit Arrivabene qui se donna tout à coup un air important et solennel. Je ne compte plus les fronts des maris que j’ai encornés, mais je puis vous le dire : bien loin qu’une femme se soit jouée de moi, jusqu’ici nulle ne m’a résisté, même pour mon salut éternel et mon repos en cette vie. Je ne pouvais pas suffire à calmer toutes les passions que j’excitais. Plusieurs jeunes filles se sont poignardées, pendues ou ont bu du poison en désespoir de ne pas me posséder. L’autre jour encore, une de nos plus célèbres beautés de Venise, et non point une simple courtisane, mais une patricienne d’un sang illustre, épouse d’un des grands noms de la République, après m’avoir ouvert un coffret plein d’or, me disait dans le tuyau de l’oreille : « Arrivabene, tu vois ces richesses : tu y puiseras à ton gré, si tu daignes consentir à partager mon lit. »

— Et vous n’avez pas accepté ?

— Je vous avouerai que le visage de cette dame, quoique beau, ne me touchait point. Et puis, en fait de femmes, je ne veux plus servir que la sainte Vierge.

— C’est heureux, s’écria Polissena.

— Pourquoi heureux ?

— Parce que si vous vous étiez mis dans la tête d’avoir l’une de nous, moi, par exemple, qui ne suis pas patricienne, vous auriez couru grand risque de mourir sans avoir contenté votre envie.

Arrivabene eut un clignement d’yeux, puis, se levant, il s’écarta de quelques pas, et me fit signe, du doigt, de venir le trouver. J’obéis à son appel. Der-