Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/54

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— C’est, dit-il, pour empêcher Votre Grâce de faire la moue, lui révéler qu’elle est jolie et lui apprendre à s’aimer.

Je gardai en main la petite glace quelques instants, pleine d’admiration pour les perles qui l’entouraient ; puis, sans en demander le prix, j’allais la rendre au marchand, mais il ne voulut pas la reprendre et répéta, en s’éloignant, qu’il me la donnait parce que j’étais belle.

Je fus si heureuse du présent que j’oubliai mon chagrin. En retournant à la maison, j’appelais les filles de ma connaissance que je rencontrais pour leur montrer le miroir ; et, ensuite, le serrant contre mon sein, je m’en allais, toute fière de l’envie que j’excitais autour de moi ; mais, au bout de trois pas, une boucle de cheveux me tombant sur l’œil, un petit bouton que je m’imaginais avoir sur la bouche, mon voile de cou que je jugeais mal attaché, tout devenait un prétexte pour attirer le miroir et m’y contempler.

Ce jour-là, plus encore que de coutume, je fus négligente de la tâche qu’on m’imposait. Maman qui, sans m’épargner les remontrances ni les coups, avait l’air de compatir à ma peine, ne put supporter de me voir passer si brusquement de la tristesse à la joie ; elle s’était habituée à ma douleur comme à mon état naturel et je lui parus fort coupable de m’en distraire. Elle saisit la première occasion qui se présenta pour me montrer quelle fureur elle ressentait de mon plaisir. Me voyant délaisser mon ouvrage et essayer devant le miroir une petite parure achetée à la dernière fête, elle me soufflette, me tire les cheveux et, m’arrachant mon collier, mon miroir, elle les lance contre le mur où ils volent en éclats.

— Vas-tu travailler, mauvaise graine ! répondait-elle à mes lamentations.