Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/483

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

injures et nous allâmes jusqu’à l’Arsenal chercher le père Sardella, que Carlona a l’habitude de prendre pour ses excursions.

Comme nous nous promenions en l’attendant, du côté où sont occupés les condamnés aux galères, nous vîmes venir vers nous un homme à la barbe et aux cheveux blancs, au visage livide, aux traits flétris, qui marchait la tête basse, en pliant sur ses jambes, comme accablé de honte et de lassitude. Il leva les yeux et les baissa presque aussitôt. Nous aperçûmes alors ses pieds qui étaient enchaînés ; en même temps un gardien accourut sur lui, le bâton levé. Pour le ramener à son travail, il lui donna sur les épaules un coup si violent qu’il lui arracha un cri de douleur, mais comme le gardien se préparait à lui en donner d’autres, sa femme, qui était présente, lui arrêta le bras en disant :

— Laisse-le un peu se reposer, il reprendra sa tâche tout à l’heure.

Le gardien y consentit, tout en secouant la tête d’un air à la fois indulgent et sévère.

— Pour cette fois ! dit-il.

La femme tendit au galérien un gobelet d’eau fraîche qu’il lapa comme un chien, buvant, avec l’eau, la sueur qui coulait de son front.

Carlona, qui s’intéressait à ce spectacle, interrogea la femme du gardien.

— Savez-vous le crime qu’il a commis, madame ?

— Tenez, dit la femme, il va parler.

Après avoir fait claquer sa langue et essuyé d’un revers de main ses lèvres humides, l’homme s’écria :

— Voici où m’ont conduit l’amour d’une femme et l’ingratitude des hommes. Je suis aux galères, et pourtant j’ai décoré les plus beaux palais de Venise, et j’ai reçu la couronne d’or sur la place Saint-Marc !

— Il ne sait dire que cela, reprit la femme ; c’est un