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Mais Polissena, les yeux effarés, levait les bras au ciel d’un geste d’épouvante.

— Sauvez-vous ! Sauvez-vous ! fit-elle. Voilà le Doge !

Ennuyés de ce contretemps, nous prîmes nos manteaux et nous partîmes au plus vite, mais, sur la route, nous entendîmes appeler. Nous nous retournâmes et nous aperçûmes Polissena qui, formant un cornet de ses mains, criait de toute sa voix :

— Arrivabene ! J’ai eu les scudi et je ne t’ai pas eu !

Là-dessus, très alerte et sautillante, elle revint à la villa.

Lorsque Arrivabene comprit qu’il était joué, il poussa des gémissements, proféra mille injures à l’adresse de Polissena et devint sentencieux comme un livre de morale.

— Seigneur ! dis-je, que tu vois la vie en noir ce matin. Il fait pourtant du soleil.

— Je me moque du soleil ; j’ai toujours vu la vie comme aujourd’hui. Toutes les femmes sont des coquines, les hommes sont des fourbes, l’existence est une honte. J’ai mal à l’estomac, j’ai envie de me pendre.

— Ne fais pas cela, Arrivabene, de crainte que tu ne regrettes ta pendaison, avant qu’elle ne soit complètement achevée.

— Alors je vais me retirer dans le sein du Seigneur. Donne-moi ton rosaire, Lorenzo : je crois bien avoir oublié le mien chez cette gueuse de Bombarda.

Et le frère se mit dévotement à égrener le chapelet que je lui passai, tandis que nous reprenions ensemble le chemin de Venise. Sur la route, nous vîmes venir une petite paysanne, dont le bras, se courbant avec élégance, soutenait un pot de lait sur la tête. Arrivabene, tout en finissant sa dizaine d’Ave, la mangea